Le départ des Cullens nous avait pris de court. Pour quelle raison disparaitre de la sorte en indiquant à peine sa destination d'arrivée? Certes, il y avait bien trop d'années qu'ils s'étaient installés à Forks, et ils auraient du bouger de là il y a des années, mais Kate et Tanya semblaient d'accord pour dire qu'en telles circonstances, une réunion de famille s'imposait. Nous apprenions bientôt qu'ils s'étaient installés en Italie. Au ras des fenêtres des Volturis ou presque. Guère l'habitude de Carlisle d'aller provoquer l'ennemi de la sorte, et certainement pas en entrainant l'ensemble de sa famille à sa suite. C'est là que j'interviens. Parce que Carmen et moi étions d'accord sur une chose. Ni Eleazar ni Kate ne devaient mettre un pied en Italie. Caius Volturi, maitre du monde auto-proclamé, serait bien trop content d'obtenir leurs dons. Et je rajoutais sur la table qu'après la disparition d'Irina, je refusais que Kate perde une autre de ses sœurs. Elle a déjà bien assez souffert de cette perte.

Pas besoin d'ajouter deux et deux pour comprendre qu'il ne restait plus que moi. Je dois dire que ça m'allait bien. Je suis toujours partant pour aider un ami dans le besoin, et depuis que j'ai rejoint le clan de Tanya, c'est même de famille que l'on parle. Me voilà donc parti pour l'Italie. Rien à rajouter.

L'odeur d'un clan de neuf vampires est aisément repérable, et je n'ai eu aucun mal à rejoindre la nouvelle installation des Cullen. Pas pourrie la baraque. Je suis d'ailleurs en pleine inspection "entré sans être invité" quand la voix d'Esmée parvient à mes oreilles, dotée d'une pointe d'affolement que je ne lui connais pas. Mon instinct ne me trompait pas, Carlisle a réussi à se mettre dans les ennuis.

"C'est moi, Esmée. Garrett."

Je sors de la pièce dont j'étais en train d'explorer les tiroirs pour me diriger vers ma cousine, ses yeux noirs étant un témoignage criant de la faim qui la tenaille. Un reniflement m'apprend que le reste de la famille n'est pas dans les parages. Surement partie chasser. Pourquoi l'avoir laissée derrière?

"Je ne voulais pas t'effrayer. La porte de derrière était ouverte. Ça va toi?"

J'aurai pu aller à la plaisanterie, à l'ordinaire. Mais je vois bien que Esmée est tracassée, et je pense qu'elle a autre chose à penser qu'à mes facéties parfois mal venues. Alors je me contente de fourrer mes mains dans les poches de ma veste, en profitant pour vérifier ne pas avoir fait tomber mon portable pendant la course qui m'a mené jusque là.

"Kate n'en est pas encore arrivée à cette leçon." Je crois que m'apprendre les bonnes manières pour "vivre en société" est surtout devenu un jeu entre Denalis et Cullens au fil des années... "Et si j'avais sonné, tu aurais eu le temps de prendre une mine meilleure que celle-là."

Je fronce les sourcils tout en me rapprochant d'un pas, observant l'expression de Esmée d'un air inquiet. Je pressentais que ça allait mal, mais cela semble être un euphémisme. Oui, je cherche Carlisle, mais j'ai l'impression qu'il n'est pas le seul qui pourra me donner des réponses. Et accessoirement, elle espère vraiment que je passe à coté d'elle comme si de rien n'était?

"Tes yeux ne sauraient mentir. Tu dois chasser toi aussi." Je laisse un blanc avant de reprendre. "Tu crois que tu aurais davantage l'esprit à te joindre à moi? J'ai hâte de découvrir ce qu'il y a à chasser de ce coté de l'océan."

Pas que j'en ai réellement besoin. Mais peut-être qu'en Italie, on trouve un animal exotique quelconque qui aura meilleur goût que les américains. J'ai franchi le pas du végétarisme pour Kate, ça ne veut pas dire que ma gorge ne se souvient pas du gout du sang humain, et je dois bien avouer que parfois, la comparaison me donne envie d'y gouter de nouveau.

Je retiens à peine un sourire alors qu'Esmée me parle des changements qui se sont opérés dans ma vie au cours de la dernière décennie. Pour être honnête, avec le recul, je n'en regrette aucun, même si certains furent plus compliqués à digérer que d'autres.

"Les Denalis sont de bons professeurs. Et Kate a su faire de moi un homme meilleur." Je recule de deux pas, écartant les bras de façon très théâtrale pour ajouter à l'amusement dans le ton de ce qui suit. "Mais que veux-tu, j'ai la rébellion dans le sang, faut bien qu'on s'en rappelle de temps en temps."

Revenant vers elle, j'accède à sa demande avant de pencher la tête sur le coté, me demandant si Esmée croit sérieusement que les autres n'ont pas conscience de son mal-être. Y a pas plus soudés que les Cullens, j'en sais quelque chose.

"Accorde moi cette chasse et je te promet d'être aussi muet que ma propre tombe."

Parce que j'ai une tombe maintenant? Première nouvelle. Plutôt un charnier au milieu d'un champ de bataille disparu depuis longtemps. Quand elle me parle de pigeons, j'écarquille les yeux, prenant avec mes mains la dimension approximative d'un pigeon - soit pas grand chose.

"Des pigeons? Ok, va pour des pigeons. Même si j'aurai préféré moins de plumes et plus de sang."

Vous vous êtes déjà retrouvé avec une plume d'oiseau dans la gorge? Je peux vous assurer que c'est désagréable.

Je laisse un sourire en coin se dessiner sur mes lèvres, ma main venant se poser sur le bras d'Esmée.

"Je ne l'abandonne pas. C'est une part de moi qui a survécu à ma transformation, et je compte bien laisser certains vampires en voir les pires cotés. Mais j’apprends à la canaliser avant de ne rendre Eleazar totalement chèvre."

J'aurai souhaité reprendre ma remarque sur la tombe sitôt sortie. Une fois encore, j'ai parlé trop vite. Il y a deux siècles que j'ai été transformé, et plus d'un siècle que j'ai aperçu la tombe du dernier de mes neveux. La mort, c'est quelque chose que j'ai effacé de mon esprit, même si la souffrance de Kate après la mort de Irina m'a profondément affecté, alors même que j'ignorais tout de sa sœur. Esmée est plus jeune que moi, et malgré la famille que Carlisle et elle se sont bâti, je me rend bien compte que ce n'était pas bien malin. L'habitude d'être le plus jeune du clan me fait me montrer imprudent dans mes paroles, et j'espère ne pas l'avoir blessée. C'est d'un ton bien plus calme que je conclus le sujet, désireux de passer à autre chose.

"L'intérêt de quelque chose qui n'a jamais existé, c'est qu'on ne peux rien en tirer."

Et bien soit, allons chasser le pigeon. On ne va tout de même pas se montrer difficile. Par contre je dois dire que je songerai à faire le tour des environs pour voir si je ne peux pas me trouver un cerf ou un puma, dans les jours à venir. Il faut combien de pigeons pour rassasier un vampire?

"Et bien alors très chère, je te laisse me guider."

La chasse en ville hein? Cela risque d'être divertissant. Et différent de la chasse en forêt dont j'ai pris l'habitude ces dernières années.

Je suis de ceux qui pensent que la sagesse n'attend pas le nombre des années. Esmée n'a peut-être qu'un siècle d'existence, et parvient même à être plus jeune que certains de ses "enfants", mais elle possède cette sagesse qu'ont naturellement la plupart des mères. J'avoue m'être parfois demandé si elle n'avais pas laissé d'enfants ou de jeunes frères ou sœurs en devenant l'une des nôtres. Mais je n'irai pas lui manquer de respect en lui posant la question. Chacun son jardin secret, après tout. Et même quelqu'un d'aussi exubérant que moi en possède un.

Je la suis jusqu'une ruelle où on peut entendre nombre de pigeons roucouler au dessus de nos têtes. Un saut et j'en attrape un, avant de retomber lestement au sol, la boule de plumes dans la main. Ok, et on plante les dents où là dedans? Je jette un coup d’œil à Esmée, relativement décontenancé, et observant que même une végétarienne avertie comme elle semble ne pas apprécier le sang mêlé de plumes de ces volatiles. Ok, j'ai plus faim. Je me contente de caresser la tête de l'oiseau dans ma main avant de le laisser repartir, observant son vol chaotique un instant.

"Ouais nan, ça me dit pas plus que ça. A la limite, y a pas du chien errant dans le coin? J'essayerai de pas penser à un loup-garou en le vidant."

En réaction aux paroles d'Esmée, je tends l'oreille et renifle l'air à quelques reprises, essayant de déterminer ce qui traine dans le coin. Ok, pas grand chose, hormis des touristes, des touristes et encore des touristes.

"Et y a même pas un anglais..."

Réflexion personnelle qui n'aurait pas du sortir d'entre mes lèvres. Tant pis. Esmée n'est pas la moins bien placée pour savoir que j'ai plus de difficultés à résister au sang anglais qu'aux autres. Un truc entre les biftecks et moi.

"Nan, y a rien."

Je penche la tête sur le coté en la voyant s'appuyer contre un mur, la rejoignant en deux pas trèès rapides.

"J'suis passé par une forêt en arrivant ici. Ça doit être à trois minutes d'ici." Comment dire que trois minutes à vitesse de vampire ça fait quelques bornes. "Tu viens avec moi ou j'te rapporte un truc?"

J'acquiesce silencieusement quand Esmée me dit qu'elle devrait savoir gérer trois minutes de course. Je dois avouer que son état m'inquiète. Pour ma part, quand j'ai faim, mais vraiment faim, je peux témoigner d'une douleur lancinante dans les crocs et d'une envie bien plus grande de saigner un passant qu'un puma.

"J'veux pas te juger, mais ça fait combien de jours que t'as pas mangé? Et ton toubib de mari a rien vu? Il devrait retourner à l'école!"

Non, je ne critiquerai jamais Carlisle ouvertement. Disons que c'est plus une pique à son encontre, dont j'espère bien qu'il entendra parler. Le truc intéressant des piques, c'est de recevoir une réponse dans les dents.

"T'as intérêt à me suivre ouais. Au premier signe de ralentissement, j'te porte. Et tu me connais, j'en suis plus que capable!"

Je prends le départ quasi aussitôt, m'arrêtant une demi seconde pour être sur qu'elle me suit avant de reprendre ma route, direction plein nord. Je ne connais pas bien la carte de l'Italie, mais ça doit être par là. Je laisse mon instinct me guider sur ce coup.

Je croise son regard, yeux noirs ne lui allant tellement pas au teint que je peux certifier que là n'est pas la couleur qu'ils avaient lorsqu'elle était encore humaine. J'acquiesce à ses mots, n'ayant rien de plus à ajouter et mon humour habituel m'ayant déserté, alors même que je m'inquiète honnêtement de l'état de faiblesse de ma cousine.

Parti en courant quelques instants après, et arrêté quelques centaines de mètres plus loin pour m'assurer qu'elle me suive, je n'avais pas prévu qu'elle, elle ne s'arrête pas, et me percute avec toute la force dont elle est capable. Je pourrai prétendre m'être écarté juste à temps, ou avoir su rester debout sur mes deux pieds malgré le choc de l'impact, mais il n'en est rien. J'ai plutôt fait un splendide roulé boulé me laissant à terre dix bons mètres plus loin. Du moins jusqu'à ce que je me relève rapidement, me contentant d'épousseter ma veste en riant.

"Je crois qu'il en faut un tout petit peu plus pour me faire mal. Mais c'était bien essayé je dois dire. Et toi, pas de mal?"

Je ne suis pas sans savoir que plus nous avons faim, plus nous sommes faibles, et plus nous sommes sensibles aux blessures qui d'ordinaire ne nous freineraient pas.

Je glisse une main à son poignet, m'assurant qu'elle tienne effectivement debout sur ses deux jambes avant qu'elle ne parte en courant, me laissant seul dans la plaine quelques instants avant que je ne démarre à mon tour, la suivant. L'odeur qui l'a surement attirée me monte au nez quelques secondes plus tard, alors que je m'en rapproche. On a toujours l'odorat plus fin quand on est affamé, c'est connu.
Je m'arrête à coté d'Esmée pour me trouver avec un cadavre à demi vidé de son sang à mes pieds. Je m'agenouille à ses cotés et place deux doigts sur sa joue pour faire pivoter sa tête, observant deux trous comme on les connait, seule blessure réellement propre au milieu du reste de la boucherie. Un coup d’œil rapide au reste de la dépouille m'apprend tout ce que j'ai à savoir, et je me relève, désireux de m'éloigner de l'odeur de putréfaction qui en émane.

"Un franc-tireur. Probablement un nouveau-né, incapable de comprendre ce qu'il est. Si tu savais comme je déteste ces vampires incapables de prendre soin de leur progénit..."

Esmée m'arrête en plein élan, me prévenant dans un souffle d'une présence étrangère à proximité. Ami ou ennemi? Je crois que nous allons bientôt le savoir...

Mon odorat et mon ouie choisissent ce moment précis pour s'intéresser à deux pistes différentes. Fichu régime alimentaire qui me fait apprécier l'odeur d'un chevreuil, alors que mes oreilles captent du bruit bien plus près de nous que l'animal. Je n'ai guère le temps de réagir qu'une forme fond sur Esmée, le vampire l'attaquant aussitôt à la gorge. A défaut d'instinct de survie, il a un semblant d'instinct alimentaire. Je le renverse d'une main, offrant à ma cousine la possibilité de reprendre le dessus et bientôt plaquer l'individu au sol, où il reste quelques instants avant de lui échapper. Je tend la main à Esmée pour l'aider à se relever, acquiesçant à ses paroles avant de disparaitre l'espace de trois secondes, m'offrant un aller retour jusqu'au gibier inconscient des chasseurs présents dans le bois, auquel je brise aisément la nuque.

"A 150m au nord ouest. J’appellerai ça un repas facile. Je m'occupe de ton protégé."

Manière de dire que je le ramènerai entier, bien que s'il essaie de me résister, je pourrai me montrer forcé de l'assommer. La chasse au nouveau-né, voilà un sport exaltant que je devrais pratiquer plus souvent. Le challenge est plus compliqué qu'avec une biche ou même un puma. Je m'arrête dans une clairière à quelques centaines de mètres de la case départ, usant du moindre de mes sens pour trouver la piste que je viens de perdre. Un sourire me vient aux lèvres alors que je comprends une demi seconde trop tard que je me suis fait avoir en beauté, et nous roulons bientôt parmi les feuilles mortes, mon adversaire cramponné à mon manteau. Il le veut? Bah qu'il le prenne. Je me libère rapidement du vêtement, laissant l'inconnu de coté pour revenir derrière lui et l'attraper par derrière. Le truc chiant avec les nouveaux-nés? Leur force. Je n'aurai pas dit non aux électrocutions de Kate... ou à la limite à un coup de main.

Je parviens finalement à en avoir le dessus, installé à califourchon sur le dos du mec couché sur le ventre alors que je tente de maintenir ses mains liées dans la mienne, quand Esmée arrive derrière moi, me pousse et libère le nouveau-né. C'est pas le coup de main que j'espérais, faut dire ce qui est. Je me relève en un quart de seconde, récupérant mon manteau dans la foulée mais prenant mon temps - du moins, allant à vitesse humainement normale - pour le remettre sur mes épaules, tout en répondant à Esmée dans la foulée.

"Je suis calme. Et j'allais pas le tuer. Juste veiller à ce qu'il reste tranquille."

Plus que dans l'immédiat en tout cas, parce qu'il ne met pas trois secondes à filer de son coté. Quand Esmée parle d'un plan, je m'appuie contre le tronc d'un arbre à coté d'elle, jetant un œil à mon portable qui vient de sonner. Eleazar est au courant de la facture qu'il va payer à faire traverser l'Atlantique à un SMS? Ses nouvelles me tirent une grimace que je dissimule à grand peine. Je savais bien qu'il n'empêcherait pas longtemps Kate de se lancer à ma suite, mais j'avais espéré avoir trois jours devant moi quand même.

"Ça va. Rassure toi. Je vais bien."

Elle revient bientôt en trainant un cerf, me proposant de m'en nourrir. Après tout, pourquoi pas. Je la considère un moment avant de m'agenouiller près de l'animal, plantant mes crocs dans sa jugulaire avant de le vider proprement, l'opération me prenant quelques minutes. C'est chiant les animaux morts, le sang circule beaucoup moins bien, même quand ils viennent d'être tués.
Me redressant finalement, je glisse un doigt à mes lèvres pour en essuyer le reste de sang avant de me retourner vers ma cousine, dont les yeux brillent davantage de doré qu'au début de l'heure.

"Tu as l'air mieux toi aussi. Hormis pour ça sans doute."

Je me rapproche d'elle, glissant la main à son cou pour écarter les cheveux qui dissimulent la plaie provoquée par le nouveau-né.

"J'crois bien que t'as un mari toubib, non?"

A dire vrai, y a bien une autre option. Mais si moi je la prendrais sans remords, habitué que j'ai été durant trois siècles à m'alimenter à la gorge des hommes, je doute que Esmée apprécie l'idée. Je m'abstiens donc de la proposer.